En 1984, le réseau social Facebook et Instagram n’existaient pas encore. En effet, leur PDG Mark Zuckerberg voit le jour cette même année à White Plains dans l’état de New York et évidemment à ce moment-là, rien ne pouvait augurer d’un avenir si prometteur. C’est encore en 1984 et à New York, que la marque Nike annonce que le basket-ball devient son sport phare avec la signature de Michael Jordan, lui-même natif de Brooklyn, et la création de la ligne chaussure et textile Nike Air Jordan qui marquera le début d’une nouvelle ère dans le marketing sportif. Parallèlement, toujours en 1984, loin de la mégapole New Yorkaise et de tout son écosystème, un certain Lebron James naît à Arkon dans l’état de l’Ohio. Futur basketteur aux talents hors du commun, en véritable performeur, il ne manquera jamais une occasion de briller sur le parquet face à la franchise des New York Knicks. Par ailleurs, rien ne le destinait à devenir un influenceur des réseaux sociaux, publiant des postes à visée politique, culturelle ou traitant de l’éducation. Jamais un sportif avant lui n’avait autant utilisé ces réseaux pour s’exprimer. Ces trois destins croisés, Zuckerberg, Jordan et James ont pourtant quelque chose en commun, la ville de New York qui exerce un impact significatif sur la musique les médias, l’art, la mode, la technologie, le sport (on la surnomme la Mecque du basket), l’éducation et le divertissement, jusqu’à être parfois considérée comme « la capitale du monde ».
Mais en 1984, pour la marque Nike, tout ne se passe pas à New York ! En effet, même si elle emploie déjà plus de 4000 employés, la marque a principalement des usines en Corée du Sud et à Taïwan mais aussi au Vietnam, en Chine, en Indonésie, en Argentine, au Brésil, en Inde, au Mexique, en Thaïlande, en Sri Lanka, en Malaisie, en Turquie, au Cambodge, et au Salvador. Elle conserve encore une usine de chaussures sur le sol américain, précisément dans le New England. Malgré ce spectaculaire développement, la marque est confrontée à une baisse de 11,5% des ventes de ses chaussures de sport. Nike a abandonné sa stratégie marketing traditionnelle de sponsoring aux événements sportifs, pour adopter une approche plus large, investissant plus de 10 millions de dollars dans sa première campagne publicitaire de masse investissant télévision, magazine, affichage, presse… ainsi que des peintures murales dans neuf villes américaines pour faire connaître les produits Nike avant les Jeux olympiques de 1984 à Los Angeles. Les athlètes chaussés de Nike affichent de très bonnes performances aux JO, puisque 58 d’entre eux ont remporté 65 médailles olympiques ! Malgré cela, les bénéfices de Nike ont chuté de près de 30%, bien que les ventes internationales aient été en hausse. Cette baisse est attribuable notamment à l’augmentation des coûts associés à l’expansion de l’entreprise sur les marchés étrangers et aux efforts déployés pour accroître les ventes textiles de la marque.
Georges Orwell avait raison, l’année 1984 aura été une année difficile, mais Nike a su faire face à l’adversité en rendant coups pour coups à l’instar du fantasque tennisman américain John Mc Enroe sous contrat avec la marque depuis 1978. Pour Mc Enroe 1984 est l’année de tous les records, il termine no 1 mondial pour la quatrième fois, et établit le meilleur ratio victoires/défaites sur une saison : 82 victoires pour seulement 3 défaites (96,47 %). Ce record est toujours inégalé, puisque seuls Roger Federer en 2005 (81V-4D, 95,3 %) et en 2006 (92V-5D, 94,8 %), Novak Djokovic en 2015 (82V-6D, 93,2 %), voire Rafael Nadal en 2013 (75V-7D, 91,46%), s’en sont approchés. Au sommet de son art, John McEnroe domine la saison et le tennis mondial concédant sa seule « vraie » défaite contre le Tchécoslovaque Ivan Lendl lors de la finale de Roland-Garros. Il a remporté 13 tournois sur les 15 auxquels il a participé, et remporté 82 matchs sur 85. Mais que diable porte-t-il aux pieds ?
McEnroe débute sa carrière en 1977 en Sergio Tacchini mais joue en Nike dès 1978. En 1980, alors sous partenariat chaussures avec la marque (et non financier), il joue chaussé de Nike Wimbledon. Il portera d’autres modèles avant d’avoir sa première paire à son nom : En 1981, c’est avec des Nike Forrest Hills qu’il remporte son premier Wimbledon, puis en 1983 il remporte son sixième titre du grand chelem et son deuxième Wimbledon avec la Nike Challenge Court. C’est enfin en 1984, qu’il signe avec la marque sa première « signature shoes » : la Nike Mac Attack.
Cette paire est la première chaussure de tennis avec une tige mi-hauteur, ce qui est une petite révolution dans le monde du tennis des années 80. Par rapport aux modèles précédemment portés par John McEnroe, elle est la première chaussure à son nom associée à une ligne textile et à un logo. C’est donc désormais un contrat financier qui lie le joueur à la firme de l’Oregon qui se décide à investir sur le joueur.
D’un point technologique, la paire est un mix de ce que Nike avait déjà développé pour les sports indoor. La semelle intermédiaire est quasi similaire au modèle Nike Court challenge, la semelle extérieure est également inspirée, à quelques détails près, de la Challenge Court. L’empeigne du modèle est composée d’un mesh souple respirant gris, et de cuir gris au niveau de la zone de laçage, dont les œillets sont disposés de façon asymétrique, permettant un bon maintien latéral renforcé par deux arceaux en cuir. L’avant de la chaussure est aussi techniquement abouti, on retrouve au niveau du coup de pied, un cuir gris pleine fleur ainsi qu’un mesh au maillage plus épais que celui de l’empeigne, qui correspond aux zones de flexion du modèle, il est plus aéré et conçu pour la respiration du pied. La languette est en synthétique garni de mousse, et ornée du logo créé spécialement pour McEnroe: un rectangle à damier noir et bleu sur-imprimé de la marque et du swoosh rouge.
Pour la découpe de la chaussure c’est la Nike Challenge Court qui a été choisie comme base de départ. Le modèle ensuite a été élaboré avec ce que Nike faisait de mieux en terme d’ajustement de pied, notamment dans ses modèles volley-ball. On retrouve donc sur la Mac Attack des empiècements spécifiques, plus aboutis et performants pour maintien, que Nike jusqu’alors ne proposait pas sur ses modèles tennis. Avec cette première paire mi-hauteur du marché de la tennis, son coloris atypique pour ce sport (face aux modèles classiques tout blancs qui constituaient l’essentiel des chaussures de tennis de l’époque), son design unique, ses avancées technologiques, Nike continue de s’imposer et de changer les codes de ce sport très codifié, misant sur un John McEnroe qui défraie la chronique. En effet, depuis le début des années 80 l’image de la marque Nike est connotée running. Elle commence à se pencher sur d’autres sports en gagnant des parts de marchés et en signant des sportifs atypiques, mais ultra performants, comme John McEnroe connu pour ses crises de colère et son vocabulaire fleuri à l’encontre des joueurs du public et des arbitres. Son attitude profite à l’image de Nike qui comprend l’importance d’utiliser un marketing décalé qui ne s’adresse pas exclusivement aux sportifs. L’évolution de Nike dans le tennis s’est fait avec John McEnroe. Il ouvre la voie pour Nike pour sélectionner ses prochains athlètes, comme André Agassi ; ou encore Charles Barkley et David Robinson dans le monde du basketball.
En 1984, John McEnroe avait donc sa propre ligne de chaussures et de vêtements siglés Mac Attack. L’histoire raconte que David Falk, l’agent de Michael Jordan, a demandé à la direction de Nike de traiter son client « comme un joueur de tennis », lors de la signature de son premier contrat. Cela signifiait que Jordan devrait avoir sa propre ligne de baskets et de vêtements, comme Nike l’avait fait pour John McEnroe.
Coup d’essai réussi, ce précédent tennistique conforte Nike dans ce nouveau marketing sportif, qui marquera le début d’une autre très belle succès story avec un autre athlète d’exception : Michael Jordan.